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Nos opérations d’organisation et de réorganisation sans fin des archives, une conséquence de notre pratique

lundi 5 août 2019

Dès que les documents d’archives entrent dans le service des archives (la collecte), l’archiviste béninois, doit procéder en premier à un tri (et élimination) ; cette opération est suivie du classement, de l’analyse, de la cotation et du rangement. Cet ensemble d’opérations s’appelle traitement des documents d’archives (d’où l’intitulé du cours à succès, le seul d’ailleurs qui apprend à l’archiviste ce qu’il doit faire toute sa vie professionnelle !).

L’opération de tri a pour objectif de déterminer les documents qui seront conservés sur une période courte ou indéfinie et de les isoler de ceux qui sont destinés à être détruits ; c’est ce qui est enseigné. Il découle le plus logiquement de cet objectif que cette opération

  • ne peut pas se faire dès l’entrée des documents dans le service d’archives, car ce qui est conservable ou non est déjà connu et inscrit dans le tableau de gestion ;
  • n’a de sens que lorsque la DUA a expiré.

Et même lorsque la DUA a expiré, l’opération ne peut se faire sur tous les dossiers, par exemple ceux qui sont destinés à la conservation intégrale. Seuls ceux dont le sort est le tri et marqué comme tel devraient faire l’objet de tri. Par ailleurs, quand on fait le tri, on doit pouvoir envoyer des documents aux archives historiques et engager la procédure de destruction. Mais l’archiviste béninois fait le tri dès la collecte et sur tous les documents dans le but d’envoyer des documents dans son propre magasin et de les traiter pour ainsi alimenter ses instruments de recherche. Et pour cause, il a devant lui des ordures, des déchets.

En fait, le travail que fait l’archiviste béninois est celui que n’ont pas fait ses collègues de bureaux sur les documents qu’ils ont produits avant de les lui envoyer. Ainsi, sur des documents empilés sur plusieurs années, le travail que des dizaines de personnes n’ont pas fait revient à un seul archiviste. Ce faisant, celui-ci est incapable de faire son propre travail pour préparer le service des archives à répondre au besoin de recherche d’information. L’archiviste passe donc pour incompétent et donc inutile ; il amène à douter de lui, il est source de méfiance de la part de ses collègues producteurs de documents.

Or lorsque l’archiviste a trié un volume de ces ordures qu’il appelle « passif », ses collègues de bureau en ont produit 10, 20, 20 ou même 100 ; de telle sorte que le volume de documents en attente de l’intervention de l’archiviste ne cesse de croître. Il n’existe pas de services d’archives au Bénin sans un volume croissant de passif. Comme on le lui a appris, l’archiviste confronté à cette situation va annuellement faire des fiches à son supérieur aux fins d’inscrire dans le budget des ressources financières pour faire appel à une main d’œuvre massive et temporaire. Cette main d’œuvre a pour tâches d’apurer une partie du passif. L’année suivante, l’archiviste va renouveler son désir et si la chance lui sourit, il va encore avoir l’occasion d’apurer une autre partie de son passif archivistique. Cette manière de faire fait partie de notre pratique ; elle fait corps avec l’enseignement.

L’opération est souvent désignée sous le nom d’organisation ou de réorganisation des archives. Mais comment peut-on organiser des archives sans fin alors qu’un archiviste est recruté et est en poste depuis plusieurs années ? S’il y a un archiviste, quel est son rôle au quotidien pour qu’on organise et réorganise les archives ? Si les archives sont organisées que se passe-t-il après pour qu’on les réorganise de nouveau ? Cette opération sans fin justifie l’existence des cabinets privés que nous animons. Et malgré cela, le volume du passif ne diminue pas. Aucun service d’archives ne peut dire avec certitude l’horizon auquel il finirait avec le passif. Certains collègues ne pourront même jamais finir de traiter le passif existant à leur prise de service avant d’aller à la retraite. Cela aurait dû amener à réfléchir sur notre compétence à gérer les archives et la pertinence de nos techniques. Nous préférons répéter la cause universelle de la situation des archives telle que nous l’avons pigée lors de notre formation : « les autorités ne sont pas conscientes de l’importance des archives et ne mettent pas les moyens à disposition ».

In fine, nos administrations fonctionnent comme si elles ne disposaient pas d’archivistes. En principe, la production du vrac cesse dans une administration dès que celle-ci recrute un archiviste. Alors, celui-ci devra traiter de façon rétrospective le passif jusqu’à sa disparition en même temps qu’il prend en charge le courant. Le travail de l’archiviste, tel qu’il est fait, ne valorise pas l’archiviste. On ne peut venir au bureau tous les jours pour se contenter de trier des ordures.

Notre pratique ne permet pas à l’archiviste de mettre à contribution son intelligence au quotidien. La formation de l’archiviste telle qu’elle s’est déroulée jusque-là est un handicap au développement des archives et à l’épanouissement de l’archiviste. On comprend dès lors pourquoi certains collègues préfèrent aller voir ailleurs.


Dans ce texte, j’ai utilisé le terme passif pour rester près de l’archiviste béninois. En fait le terme passif n’existe pas dans le vocabulaire archivistique. Il faut plutôt parler d’arriéré. En réalité, on ne peut parler d’arriéré que dès que le document entre sous la responsabilité de l’archiviste Or ici, ça comprend tout ce qui est entassé un peu partout dans une administration comme document.

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